Être ou ne pas être queer selon « Miss Fine ! 

Être ou ne pas être queer selon « Miss Fine ! »

Dans le sitcom Une nounou d’enfer, les personnages et références queer sont légion sans poser le moindre souci. Cependant, certains clichés restent vivaces pour rire. Leur présence serait-elle pertinente ?

Souvenez-vous, la haute en couleur et choucroutée Fran Fine (Fran Drescher), originaire du Queens (please!), devient la gouvernante d’enfants posh à Manhattan. Réalisée entre 1993 et 1999, la série TV Une nounou d’enfer, The Nanny en VO, s’appuie sur le choc des cultures pour faire rire. Ainsi, s’opposent les lower et upper classes, les humours juif et British, les références mainstream et queer.

Car la nounou s’y connaît en cultures LGBTQ+. Au fur et à mesure des épisodes, la famille Sheffield, tout comme le.la spectateur.trice non initié.e, affûte son gaydar grâce à la perspicacité de Fran. En effet, les personnages queer font partie du quotidien des protagonistes sans faire sourciller qui que ce soit . Est donc dressé le pseudo portrait-robot d’un gay selon la nanny :

  • Il est maquilleur, coiffeur, acteur ou professeur de danse
  • Il est blond décoloré
  • Il porte des vêtements bariolés aux motifs animaliers et noue son pull autour du cou
  • Il aime et/ou imite Judy Garland, Liza Minnelli ou Meryl Streep
  • Il est souvent efféminé

Prétendre être gay est même un running gag pour éviter la concurrence sur le plan amoureux. Ainsi, Maxwell Sheffield (Charles Shaughnessy), le patron de Fran, passe pour être homosexuel, lorsque cela arrange Miss Fine. Par ailleurs, elle ne manque jamais une occasion de mettre en doute son hétérosexualité, puisqu’il est producteur de comédies musicales à Broadway.

La sexualité du majordome, Niles (Daniel Davis), est également questionnée. Alors qu’il est enrhumé, il dit qu’il est « queer », qui signifie « bizarre » au premier sens du terme. Quand il doit traverser la gay pride, le majordome emprunte un caniche pour passer inaperçu. Mieux, Niles est un coquin : il porte des sous-vêtements olé olé aux motifs animaliers.

Un hétéro fait face aux préjugés

Malgré ses fulgurances légendaires (les fausses bonnes idées de Miss Fine sont des ressorts comiques récurrents), la nounou se plante en beauté à deux reprises.

Dans l’épisode 19 de la saison 2 « A Fine Friendship », Fran fait la connaissance de Kurt (Christopher Rich), nounou d’un camarade de la petite dernière. D’emblée, elle sait qu’il est homosexuel :

  • Elle est attirée par lui, ce qui prouve qu’il est indisponible
  • Il est musclé
  • Il est incollable sur les comédies musicales

Enfin, Miss Fine peut être naturelle avec un homme ! Ils regardent un soap opera et commentent le physique des acteurs. Kurt la conseille sur ses vêtements et, grand honneur, la voit sans maquillage. Son orientation sexuelle l’autorise même à accéder à la chambre de Fran. Personne ne pratique le coït sous le toît des Sheffield, voyons !

Alors que la nanny enfile une robe parsemée de glory holes (please, one more time!), Kurt caresse et embrasse Fran dans le cou. Saisie par le doute, Miss Fine lui pose une question à laquelle seul un gay est capable de répondre : « qu’est-ce qu’un tiramisu »* ? Face à l’ignorance de Kurt, la nounou d’enfer est sous le choc : Kurt n’est pas gay ! Par extension, les hommes hétéro qui savent ce qu’est un tiramisu, se voileraient-ils la face ? Les spécialistes trancheront…

Et, à cet instant, c’est le monde à l’envers pour en rire. Fran bombarde Kurt. Quand a-t-il découvert son hétérosexualité ? Sa mère est-elle au courant ? Elle devait lui acheter des vêtements pour garçon, n’est-ce pas ? À la place d’une dramatique gay panic, cette straight panic démontre, avec humour, la bêtise de l’intolérance face à un coming-out. Après tout, l’hétérosexualité est peut-être le souci.

Une lesbienne fait face aux préjugés

Quand Miss Fine ne prend pas un hétéro pour un gay, elle prend une lesbienne pour une hétéro dans « Oy Vey, You’re Gay » (saison 3, épisode 7).

Maxwell embauche Sydney Mercer (Catherine Oxenberg, connue grâce à la série TV over camp Dynastie) comme attachée de presse. Inquiète de voir son boss attiré par la jeune femme qu’il invite au Rainbow Room (pleeeaaase!), la nanny met les pieds dans le plat.

Mais Fran se méprend : Sydney aime les femmes. Soulagée, la nounou se jette dans les bras de la publiciste, qui pose la main sur sa tête. Le visage de Miss Fine montre à quoi ressemble la malheureuse gay panic. Comment Fran aurait-elle pu deviner ? Malgré son prénom unisexe, l’attachée de presse est féminine, non butch.

C’est au tour de Sydney de se laisser piéger par des clichés : la nanny a beau avoir plus de 30 ans, ne s’être jamais mariée et n’avoir aucun homme dans sa vie, elle n’est pas lesbienne. Elle est juste « pathétique ».

Quel dommage ! Sydney voulait proposer à Fran un date. Tentée, la nounou demande à l’attachée de presse si elle est juive. Si oui, elles pourraient faire le bonheur de sa mère. Non seulement, la nanny ne se sent pas insultée d’être éventuellement lesbienne, mais elle l’envisage quelques secondes.

Fâchée que Sydney n’ait pas compris les intentions de Maxwell, Miss Fine la frappe sur le bras. Rapidement, elle se ravise. Peut-être est-elle adepte du BDSM ? Pourtant, il n’y a aucun lien logique entre lesbianisme et sado-masochisme.

Stéréotypes et sitcoms font bon ménage

Pour l’audience actuelle, Une nounou d’enfer cumule les stéréotypes. Néanmoins, elle est un symbole de tolérance dans les années 1990. À cette époque, un personnage LGBTQ+ est présenté comme un problème dans les séries TV américaines et l’épidémie du sida sévit violemment. Les arcs narratifs s’inspirent de ce contexte.

En outre, le personnage de Fran est loin d’être un modèle féministe. Gouvernante, elle est perçue comme un servante et n’aurait aucune ambition professionnelle. Ultra dépendante des hommes, elle court après le mariage et la maternité. Son physique serait et doit rester son principal atout, quitte à cacher sa personnalité et son âge. Là aussi, ce sont des clichés.

En fait, le sitcom se nourrit des stéréotypes pour amuser. Par définition, le genre repose sur l’humour. Rire d’un cliché et d’un protagoniste qui l’incarne, en évitant le déjà-vu et revu, pourrait permettre de le dédramatiser, de le relativiser, voire de le dénoncer. Parce que, s’il fallait le préciser, aucun trait ne caractérise un gay ou une lesbienne dans l’absolu.

Dans tous les cas, Fran Drescher, interprète de la nanny et créatrice de la série, revendique une sensibilité queer. En tant qu’outsider, la nounou parle aux spectateurs.trices marginalisé.e.s, qui s’identifient. L’actrice est même considérée comme une icône, notamment en raison de son engagement pour les droits LGBTQ+.

Retrouvez « Miss Fine ! » sur Prime Video, Salto ou TFX.

* Les dialogues cités sont ceux de la version originale. En effet, le doublage français est parfois une adaptation et non une traduction.

Partagez cet article :