Le film réunit trois actrices iconiques, Bette Davis, Maggie Smith et Angela Lansbury, dans des rôles queer. De la lesbienne SM à la drag queen, tous les plaisirs sont dans la nature.
Mort sur le Nil est d’abord un roman policier daté de 1937 et signé de la whodunit queen Agatha Christie. Puis, il est adapté au cinéma en 1978 derrière la caméra de John Guillermin. Lors d’une croisière sur le fleuve égyptien, une riche héritière fraîchement mariée est assassinée. Le mari et l’ex-meilleure amie, accessoirement ex du mari, ont un alibi en béton. Alors que chaque passager avait une bonne raison de tuer la victime, Hercule Poirot (Peter Ustinov) mène l’enquête.
Une relation lesbienne à base de vacheries et de sévices
Mrs Van Schuyler (Bette Davis), riche Américaine, emploie la désargentée et britannique Miss Bowers (Maggie Smith) comme dame de compagnie. Tout semble les opposer. Tandis que Van Schuyler est aussi plâtrée qu’une vieille marquise du XVIIIe siècle, Bowers arbore une peau nue et une coupe garçonne. Alors que la première s’enveloppe de dentelle, la seconde, lesbienne et butch, porte des costumes masculins avec cravate, un smoking avec nœud papillon, et fume le cigare.
Mrs Van Schuyler saisit toutes les occasions pour, expressément et publiquement, mettre en doute la féminité de Miss Bowers. Sa mère était une lady ? Elle n’a pas hérité de cette qualité. Le mariage ? Le sujet ne lui est pas familier. Elle tire sa patronne par le bras ? Elle a déjà battu le champion de boxe Jack Dempsey, qui ne s’en est jamais remis. Bowers finit par exprimer son mépris vis-à-vis de la gente masculine : « les hommes ne sont attirés que par des femmes qui les traitent mal ».
En fait, les deux femmes se détestent. Mrs Van Schuyler prend un malin plaisir à torturer son employée. Miss Bowers hait la chaleur. Une croisière sur le Nil, avec une cabine orientée plein sud, suivie d’une traversée du désert de Gobi lui feront le plus grand bien. Bowers, impertinente, le lui rend bien, en la qualifiant de vieux fossile qui devrait bientôt être dans la tombe.
Si Miss Bowers porte la culotte au sens propre, il n’en est rien au sens figuré. Au sein de leur relation, Mrs Van Schuyler est la maîtresse SM. Elle a le pouvoir économique, elle garde toujours le contrôle, et bénéficie des « massages » et autres « avilissements » prodigués par son esclave sexuelle. Comme le dit si bien Van Schuyler, « les règles sont faites pour être contournées ; en tout cas les miennes, par moi ».
Une drag queen érotomane transfusée aux cocktails avec alcool
Entre en scène Salome Otterbourne (Angela Lansbury) ! Romancière, elle écrit des histoires d’amour tendance porno-érotiques. Elle ne manque d’ailleurs jamais une occasion de parler de sexe devant ces messieurs médusés et sa fille honteuse.
Habillée de voilages et turbans – grâce au talentueux Anthony Powell décédé récemment –, maquillée comme une drag queen, Otterbourne est plus imbibée qu’un baba. Grande drama queen à l’égo surdimensionné, elle aime les tirades à rallonges au péril de sa vie (pan, entre les deux yeux !), parle de son pseudo génie littéraire à l’envi et ne cesse d’appeler Poirot « Monsieur Porridge ».
Son sens de la mise en scène va jusqu’à interpréter un tango endiablé, qui est plus proche de la parade amoureuse ridicule que d’une danse de salon latine. Un numéro d’exception !
Car, avec Mort sur le Nil, le style camp est à l’honneur. En effet, le film frôle le mauvais goût sans vraiment basculer. Bourré – presque autant que Salome Otterbourne – d’ironie, il reprend des codes queer pour le plaisir d’un public complice.