Le roman graphique Villa Mauresque raconte la vie contrastée de l’écrivain Somerset Maugham. Britannique mais français, marié mais queer, infect mais sensible, qui est-il derrière le voile ?
Lorsque l’acteur efféminé Ernest Thesiger reproche à Somerset Maugham de ne jamais écrire de pièce de théâtre pour lui, l’auteur lui répond : « mais je le fais sans arrêt, seulement c’est Gladys Cooper qui s’empare à chaque fois de votre rôle. » Tel est l’esprit du dramaturge, romancier et nouvelliste, que François Rivière et Floc’h dépeignent dans le roman graphique Villa Mauresque aux éditions de la Table Ronde.
Rester dans le placard à tout prix
Né à Paris en 1874 de parents britanniques issus de la bonne société, William Somerset Maugham (prononcé « mom », comme « Maman » en anglais, tiens donc) voue un amour et une admiration sans bornes à sa mère. Son décès, alors que Willie a 8 ans, traumatise le petit garçon qui devient bègue.
De retour en Angleterre, les années passées en pension accentuent le mal-être. En effet, Maugham tombe amoureux de camarades qui ne sont pas intéressés. S’ajoute l’impact de l’affaire Oscar Wilde. En 1895, l’écrivain irlandais est condamné aux travaux forcés en raison de son homosexualité. Nouveau choc pour Somerset, qui veille à dissimuler ses penchants.
Néanmoins, Maugham n’évite pas tout scandale. Il entame une liaison avec une femme mariée, Syrie. Enceinte de Somerset, elle divorce pour convoler en justes noces avec le père de l’enfant. Malheureusement pour le jeune couple, ils ne peuvent pas se sentir.
La Première Guerre mondiale est la meilleure des excuses pour fuir. Sur le front, Maugham rencontre Gerald Haxton. Le preppy Américain est son opposé. Il est extraverti, sociable, séducteur et jouisseur sans le moindre complexe. Ils deviennent amants et Gerald son secrétaire particulier. C’est la rencontre de la Belle et la Bête, tout comme l’était celle des parents de Somerset.
Être enfin libre mais amer
Une nouvelle opportunité permet à Maugham de se libérer du carcan de la société britannique et de son mariage : la découverte de la Villa Mauresque sur la French Riviera. Grâce au succès, il s’offre ce petit bijou et s’y installe avec Haxton, qui doit quitter l’Angleterre après avoir été supris en flagrant délit avec un jeune homme.
Sur la Côte d’Azur, sont reçu.e.s VIP, ami.e.s et sex friends. De temps en temps, Syrie s’invite et une espèce de ménage à trois se forme alors. Le drame n’est jamais bien loin, car l’épouse légitime et l’amant en titre ne peuvent se souffrir. Ces scènes nourrissent la créativité de Somerset. La compassion lui étant étrangère, il s’inspire de son quotidien et de la réalité pour écrire.
En fait, Maugham est connu pour son mauvais caractère, voire sa cruauté. Bien qu’il puisse enfin être lui-même en France, Somerset reste une teigne à la mauvaise langue. Son cynisme et sa misogynie cacheraient une personnalité fragile et complexe. Pour tenter de toucher du doigt la vérité, Rivière et Floc’h donnent la parole à plusieurs narrateurs.trices. Outre Somerset lui-même, ses proches racontent donc des anecdotes et décrivent leur Maugham.
Pour autant, Somerset finit ses jours amer et, par conséquent, seul. La seule personne restée fidèle, en dépit des méchancetés de l’écrivain, est son dernier compagnon, Alan Searle. Maugham a d’abord des relations sexuelles tarifées avec le jeune homme, puis, à la mort de Gerald, il l’embauche en tant que secrétaire particulier. Quand Somerset s’éteint en 1965, Alan est à l’abri du besoin, mais restera inconsolable. Comme l’était Maugham après la disparition de sa mère adorée. Jusqu’à la fin, Monsieur le soi-disant cynique garda son portrait près de son lit. Peut-être son seul véritable grand amour.