Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher : quand la discipline rencontre l'excès

Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher : quand la discipline rencontre l’excès

Kaiser Karl, la biographie de Karl Lagerfeld signée Raphaëlle Bacqué, présente Jacques de Bascher, un personnage capital dans l’entourage du grand couturier. Malgré ou en raison de leur style de vie opposé, les deux hommes partagent une histoire d’amour platonique jusqu’à la fin.

Dans Kaiser Karl paru chez Albin Michel, Raphaëlle Bacqué, journaliste et grand reporter au journal Le Monde, tente de tracer la silhouette de Karl Lagerfeld, styliste super star de la maison Chanel entre autres griffes. En effet, la tâche est aussi complexe que la personnalité du créateur. Comme le précise l’auteure, Lagerfeld « a menti pratiquement sur tout son parcours et il a entièrement reconstruit sa vie ».

Gêné par ses origines allemandes, Karl s’invente une généalogie suédoise ou danoise selon l’humeur du moment. D’où sa haine du surnom « Kaiser », dont il se trouve affublé bien malgré lui. Coquet, il brouille les pistes concernant son année de naissance. Control queen, il gomme et redessine la réalité jusqu’à devenir un personnage, une icône marketing, voire un mythe.

Un dandy iconoclaste entre en scène

Dans les années 1970, la route de Lagerfeld croise celle d’un aristo sans le sou et noceur, Jacques de Bascher. Fascinés l’un par l’autre, les deux hommes consacrent la même énergie à modifier les contours de la vérité pour qu’elle corresponde à leurs fantasmes.

« Avec sa fine moustache de dandy d’avant-guerre, ses vestes à larges revers et son foulard de soie autour du cou, Jacques ressemble à un personnage de Proust ou d’Oscar Wilde, entre Swann et Dorian Gray. Il a toutefois une drôle de lueur dans l’œil. Quelque chose de provoquant et de pervers. » Tel est le portrait dressé par Raphaëlle Bacqué.

Car le Vendéen royaliste à la fesse tatouée d’une fleur de lys est un séducteur en série. Sûr de sa beauté et de son esprit, Jacques le capricieux veut Karl Lagerfeld. De son côté, le designer est attiré par la noblesse affichée et la culture raffinée du jeune homme.

Même si de Bascher écarte certains amis du couturier, ce dernier n’est pas dupe : « j’adorais Jacques, mais il était impossible ». Et, bien que les mauvaises langues l’appellent « le gigolo de Karl », Lagerfeld finance toutes les dépenses et envies de celui qui sera son compagnon pendant 18 ans sans jamais partager le même toit. La vie commune ? Très peu pour eux !

Un amour platonique et partagé

Selon le proverbe, les opposés s’attirent. En l’occurrence, rien n’est plus vrai. Karl est un travailleur acharné dépourvu de vices. Jako, de son petit nom, est accro au dilettantisme, aux nuits blanches, au sexe et aux drogues. À l’aise dans son époque, il aide ainsi le créateur à capter l’air du temps et la liberté des années 70. Il le conseille et devient sa muse.

Un proche de Lagerfeld est catégorique : Karl « ne baise jamais ». Les relations sexuelles n’intéressent pas le styliste. Il est donc séduit par autre chose chez de Bascher, ce qui est une nouveauté pour le dandy décadent. Libertin à la manière du vicomte de Valmont dans Les Liaisons dangeureuses, Jacques aime séduire, puis se débarrasser de sa conquête dévastée. Surtout lorsqu’il s’agit d’un hétérosexuel pur et dur, ou de l’ami des débuts de Karl, le couturier Yves Saint Laurent.

En couple avec Pierre Bergé, Saint Laurent multiplie déjà les amants. En rencontrant de Bascher, Yves se met en danger. Au contact de Jako, il découvre certes le sadomasochisme et bascule dans la drogue. Mais, surtout et pour son malheur, il est amoureux. La situation amuse Jacques jusqu’au moment où Yves, incontrôlable, s’accroche, le poursuit et commence à l’effrayer. Une intervention de Bergé mettra fin au supplice des deux hommes.

Les frasques de Jako distraient Lagerfeld l’ascète, possessif sans être jaloux. Pour Raphaëlle Bacqué, Karl « est amoureux (…). D’un amour profond et absolu. Jamais on ne lui a connu une telle fascination pour quelqu’un. » Être asexuel n’empêche pas les sentiments. Et cet amour est réciproque. Aux yeux de Jacques, les relations d’un ou plusieurs soirs ne comptent pas.

Puis la mort s’en mêle

Lagerfeld déteste la maladie. À tel point qu’il n’assiste pas aux obsèques de son père ou à celles de sa mère adorée.

Dès 1987, de Bascher tombe malade, victime des ravages du sida. Malgré sa peur de la mort, Karl prend soin de Jako. Il contacte tous les médecins et spécialistes pour tenter de le sauver. En vain. Alors que le couturier passe ses nuits sur un lit de camp dans une chambre d’hôpital près de Jacques, le dandy impossible s’éteint en 1989.

Lagerfeld ne refera pas sa vie avec un autre, car, selon lui, il n’y avait « rien à refaire ». Les cendres de Jako sont séparées entre Madame de Bascher mère et Karl. Le designer souhaite que, à sa mort, elles soient mélangées aux siennes. La preuve que « Lagerfeld a aimé profondément cet homme », dixit Raphaëlle Bacqué.

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