Chez Marvel, une super-héroïne ne naît pas femme, mais le devient. Chez les Fantastic Four, la Fille Invisible devient une femme puissante et une maîtresse BDSM queer.
Depuis sa création en 1961 par Stan Lee et Jack Kirby, Sue (version originale) ou Jane (adaptation française), membre des Fantastic Four (FF), est faible et futile. Elle est l’archétype de la demoiselle en détresse. Il faut dire que le pouvoir de se rendre invisible est loin d’être offensif et valorisant. En l’occurrence, il s’agit d’un pléonasme, puisque le personnage s’illustre par son inutilité. À tel point que certains lecteurs souhaitent la voir disparaître pour de bon.
L’emprise libère la puissance
Dans l’arc narratif publié en 1985 dans Fantastic Four 280 à 284, la Fille Invisible est possédée par Malice. En France, les épisodes sont édités dans les numéros 126 à 128 du magazine Nova. Et, pour l’Invisible et les FF, rien ne sera plus comme avant.
John Byrne, qui signe le scénario et le dessin, représente Sue avec une coupe mullet unisexe, iconique des 80s. Sous l’emprise de l’entité Malice, la Fille Invisible abandonne son traditionnel uniforme moulant bleu pour une tenue BDSM. En effet, elle porte cape, cagoule et sous-vêtements noirs et rouges à pointes. À croire qu’une super-héroïne doit devenir méchante pour être sexy. En tout cas, il y a visiblement un lien entre la figure de la super-vilaine et les atours sado-masochistes.
Maîtresse Malice prend du plaisir à torturer ceux qu’elle déteste : les co-équipiers de Sue. Et elle commence par She-Hulk ou Miss Hulk, selon la langue. Comme son cousin Hulk, elle est gigantesque, verte et surpuissante. Mais peut-elle résister à l’épreuve prévue par Malice ? Non, la maîtresse prend plaisir à étouffer son esclave sexuelle sans la toucher grâce à un champ de force. Réussir à battre She-Hulk en si peu de temps prouve que, à son plein potentiel, Sue pourrait être la plus forte des FF.
Concernant les jeux sexuels, Malice ne se limite pas aux femmes. Son spectre est plus large que la relation hétérosexuelle monogame entretenue par la Fille Invisible. En fait, elle est bisexuelle, puisque sa prochaine cible est le mari de Sue, Reed en anglais ou Red en français. Et Malice voue une haine profonde à cet homme :
« Sous-entends-tu ‘rien qu’une femme’, Red Richards ? Quelqu’un qu’au pire on ignore, qu’au mieux on protège ? Quelqu’un qu’on étouffe, qu’on frustre ? Capable d’avoir des enfants mais pas des responsabilités ! »
Ainsi, Malice peut être vue comme la voix de Sue libérée de ses entraves et insécurités. Enfin, elle exprime le fond de sa pensée, dont sa part sombre. Car l’Invisible, faute de respect, est souvent mal considérée par son époux, Mr Fantastic. Leur alias montre d’emblée le décalage entre les deux personnages. L’un et nettement supérieur à l’autre, ce que pense effectivement Reed. Il rabaisse régulièrement sa moitié. Par conséquent, Malice existerait-elle parce que Mr n’est pas Fantastic dans ses rapports avec sa femme ? Feraient-ils partie des couples toxiques de l’histoire des comic books ?
Alors que Malice veut faire souffrir Reed comme jamais, il est impressionné par la puissance de son adversaire, qu’il ne reconnaît pas immédiatement. En l’espèce, son épouse, sous influence, le transperce avec des pointes. Puis, elle souffle la flamme de son propre frère, Johnny dit la Torche. La maîtresse BDSM aurait également des désirs incestueux.
La souffrance octroie le statut
Pour vaincre Malice, Reed décide alors de faire réagir Sue en la soumettant une nouvelle fois à son autorité : « Je t’ai dit de te taire. Nous avons fermé les yeux sur tes revendications féministes. » (…) « Sans nous, il y a des années que tu aurais été tuée ! »
Mr Fantastic ponctue ses propos d’une gifle, afin de provoquer un choc psychique chez sa femme. Sue est libérée de l’emprise de Malice. Elle réclame vengeance pour ce qui est « pire qu’un viol », même si cela signifie faire enfin passer ses besoins avant ceux de son mari ou de son fils.
Les FF partent donc à la recherche de Psycho-Man, un de leurs ennemis historiques et instigateur de la possession de l’Invisible. Cependant, Psycho-Man les attendait et il s’en prend une nouvelle fois à Sue. Parce qu’il souhaite la « mater », il la soumet à une torture mentale : de retour à l’adolescence, Sue doute des ses capacités face aux hommes.
Sauvée (encore !) par Reed, l’Invisible prend la tête des opérations, alors que Psycho-Man s’est échappé. En effet, sous l’influence de ce dernier, Mr Fantastic perd ses certitudes. Par conséquent, c’est Sue qui accule le super-vilain grâce à sa propre intelligence.
L’Invisible épingle Psycho-Man contre le mur « comme un papillon ». Puisqu’il l’a « aviliée », elle veut le « châtier ». Le.la lecteur.trice et les personnages ne savent pas ce qu’il se passe. Seul un cri, occupant toute la largueur d’une case, laisse entendre la souffrance du méchant. Lorsque Sue réapparaît, elle précise : « Pyscho-Man n’est plus une menace pour nous… Ni pour personne ! À tout jamais ! »
L’élève a donc dépassé le maître. La maîtresse BDSM queer a maté son professeur. Même Reed reconnaît la victoire de son épouse. « Pervertie » par Psycho-Man, Sue sait dorénavant qui elle est. La Fille Invisible est morte. Elle est devenue la Femme Invisible. Il aura fallu 25 ans d’existence, ainsi que l’expérience de la souffrance reçue et donnée, au personnage pour qu’il mérite ce nom.