Le discours du premier film Scream est complexe, voire ambivalent. Il s’attaque aux normes hétéro, mais condamnerait la sodomie au profit de l’abstinence. Il alimenterait le cliché du vilain gay, mais donne naissance à une icône queer.
Attention, spoilers !
En 2022, le cinquième opus de la série de films Scream met en scène un personnage ouvertement queer. Néanmoins, un couple gay est bel et bien présent dès le premier film en 1996. Pour ceux et celles dont le gaydar serait brouillé, il s’agit des deux tueurs, Billy (Skeet Ulrich) et Stu (Matthew Lillard). En effet et en dépit de ce que perçoit le.la spectateur.trice pour mieux le.la surprendre, il y a bien deux Ghostface. Ce nom est donné aux meurtriers en raison du masque qu’ils portent, inspiré du tableau Le Cri d’Edvard Munch. Et les deux garçons transpirent la « queeritude » !
Sus aux lycéen.ne.s hétéronormé.e.s !
Film méta, Scream fait expressément et constamment référence aux slasher movies qui l’ont précédé. Autrement dit, il rend hommage à ce sous-genre du cinéma d’horreur, qui met en vedette un tueur massacrant un groupe de personnages, l’un après l’autre.
En l’occurrence, le duo aime particulièrement s’acharner contre leurs camarades de lycée, dont la performance de genre et l’orientation sexuelle entrent dans la norme. Par exemple, Casey (Drew Barrymore), est l’archétype de la bimbo blonde populaire. Accessoirement ex-girlfiend de Stu qu’elle a plaqué (à cause de son homosexualité latente ?), elle fréquente désormais un membre de l’équipe de football américain, autre symbole de popularité. De telles représentations hétéro classiques sont, par conséquent, éventrées dès les premières minutes.
La nouvelle petite-amie de Stu, Tatum (Rose McGowan), s’inscrit également dans le cliché de la bimbo blonde. Moqueuse, elle remet en cause la virilité de son frère, shérif adjoint de la petite ville. Avant d’avoir des doutes sur celle de son boyfriend qui s’admire dans le miroir de sa dulcinée, elle doit trépasser. Telle une Marie-Antoinette du pauvre, elle est presque décapitée, lorsque l’un des meurtriers enclenche le mécanisme d’ouverture de la porte du garage. Parce qu’elle porte une poitrine opulente, Tatum est coincée dans la… chatière. Toute sursexualisation n’est aucunement fortuite.
Le tueur viril versus le.la survivant.e vierge
En fait, les notions de virilité et virginité parsèment le film. Pour Stu, seul un vrai mec, comme doit l’être Ghostface, est capable d’éliminer ses victimes avec un couteau de chasse. Par ailleurs, avec Billy, ils expriment leur masculinité en menaçant Randy (Jamie Kennedy). Enfin, la scène pourrait presque finir en plan à trois, considérant la façon dont Stu regarde, touche les épaules et tripote l’oreille de Randy. Serait-ce un soupçon de gay panic dans les yeux de Randy ?
Ce dernier, expert en films d’horreur, maîtrise les règles à respecter, notamment en matière de sexe, pour survivre. L’une d’entre d’elles consiste à rester vierge jusqu’au générique de fin. Avoir des rapports sexuels vaut donc condamnation à mort. Bref, vive l’abstinence !
La mère de l’héroïne Sidney (Neve Campbell), qui assume ses désirs au point d’avoir une relation extraconjugale avec le père de Billy, est, un an auparavant, la toute première victime des tueurs. Et Sidney elle-même se rapproche de la mort, une fois qu’elle a perdu sa virginité avec Billy.
Fils homo à maman, le pauvre petit Billy n’a pas supporté le départ de sa propre mère après la découverte de la liaison paternelle. Également fan de cinéma, il fait référence à un autre garçon traumatisé par sa génitrice : Norman Bates (joué par l’acteur bi Anthony Perkins), qui, dans Psychose signé Alfred Hitchcock, se travestit en feu maman pour tuer les femmes qui l’attirent. En outre, Billy pense que la vie est un grand film, dans lequel personne ne choisit son rôle. Tout comme personne ne choisit d’être queer, mais peut choisir de couper le cordon ombilical.
Une représentation sanglante de la sodomie
Si les œillades échangées entre Stu et Billy tout au long du film resteraient innocentes pour certain.e.s, la révélation finale achèvera de les convaincre. À part leur coming-out en tant que Ghostface, les deux ados ne peuvent dire leur orientation sexuelle, mais la montrent avec violence. Les préliminaires sont presque romantiques : Stu pose sa tête sur l’épaule de Billy et regarde son cou avec envie. Puis, Billy porte le couteau ou pénis de substitution à sa bouche, avant de passer à la sodomie. Les deux meurtriers se poignardent mutuellement et volontairement. Stu appelle Billy « baby », avant de le traiter de « dick », soit « connard » ou « bite », parce qu’il a trop mal. Quant à Billy, il demande que le coup ne soit pas trop profond. La pénétration anale serait-elle trop dangereuse et condamnable ? Dans tous les cas, le gel lubrifiant est recommandé, surtout la première fois.
Comme le résume bien l’actrice Neve Campbell : « [ces] gars [sont] assez perturbés. Et peut-être qu’une partie de leur colère vient du fait qu’on ne leur permet pas d’être qui ils veulent être. » L’homophobie peut faire de sérieux dégâts.
La vaillante héroïne hétéro comme icône queer
Scream semble abuser de l’éternel archétype du vilain gay ou du gay meurtrier. Le scénariste du film, Kevin Williamson, s’est inspiré d’une histoire vraie, déjà à l’origine du film La Corde de Hitchcock. En 1924, Nathan Leopold et Richard Loeb, couple d’adolescents, veulent démontrer leur intelligence en commettant le crime parfait. Pour ce faire, ils éliminent le jeune Bobby Franks. Rapidement arrêtés, les deux surdoués utilisent, pendant leur procès, leur homosexualité comme preuve de leur folie. Ils évitent alors la peine de mort.
Cependant, Williamson, ouvertement homosexuel, ne se projetait pas dans Stu et/ou Billy pendant l’écriture, mais dans Sidney. Il explique :
« En tant que jeune gay, je m’identifiais à la dernière fille en vie et à son combat, car c’est aussi ce que l’on doit faire pour survivre en tant que jeune gay. Vous regardez cette fille survivre à cette nuit et au traumatisme qu’elle subit. Inconsciemment, je pense que les films Scream reflètent la survie dont doivent faire preuve les gays. »
Ainsi, le.la spectateur.trice queer peut se reconnaître en ce personnage de femme intelligente et forte. Tout comme l’autre survivante Gale (Courteney Cox), Sidney a la langue bien pendue et est qualifiée de « bitch » par les meurtriers. Forcément, elle les bat à leur propre jeu. Telle une Mary Poppins déchaînée, Sidney utilise un parapluie, encore un pénis de substitution, pour transpercer le cœur de Billy, littéralement. L’insulte, gage de la supériorité de la « salope », devient alors positive, comme peut l’être celle envers les personnes LGBTQ+. Contrairement aux deux Ghostface qui ont besoin d’un masque pour tenter d’exister, Sidney surmonte les obstacles avec courage et assume son identité avec fierté. Être homo ne veut pas dire être queer.