Il est vain de cacher son homosexualité à Hercule Poirot dans l’épisode Cinq Petits Cochons de la série TV. Fin psychologue au gaydar développé, le détective va au-delà du discours, des apparences et d’une masculinité performée.
Dans le roman policier Cinq Petits Cochons publié en 1942, Agatha Christie met en scène son détective belge – et non français ! – fétiche. En 2003, cette histoire devient un épisode de la série TV Hercule Poirot.
Quatorze ans après les faits, la fille du peintre Amyas Crale (Aidan Gillen) demande à Poirot (David Suchet) d’enquêter sur le meurtre de son père. A priori, l’affaire est résolue : Caroline (Rachael Stirling), l’épouse d’Amyas, a été jugée coupable et pendue. Cependant, la condamnée a écrit une lettre à sa fille dans laquelle elle affirmait être innocente. Il s’agit maintenant de connaître la vérité.
Les cinq petits cochons sont les cinq suspects qu’Hercule interroge. Le titre est, en effet, un emprunt à la comptine anglaise Ce Petit Cochon.
Ce petit cochon était sur le grill
Le premier petit cochon rencontré par Poirot est Philip Blake (Toby Stephens). Dans un premier temps, il refuse de répondre au détective. Il se contente de faire un commentaire purement gratuit sur les mœurs à l’opposé de la norme d’un membre du personnel du club où ils sont installés. Un indice, assurément.
Puis, Philip se décide à parler : « Amyas Crale était le meilleur ami qu’un homme puisse avoir ». La petite bande se fréquentait depuis l’enfance et Blake détestait Caroline. Il la trouvait « froide et calculatrice ». Selon lui, elle s’intéressait à tous les garçons avant de jeter son dévolu sur Crale, héritier d’une fortune. Après le mariage, Blake s’est éloigné du couple. Enfin, il a « cédé à la tentation » et a revu Amyas.
En fait, ce dernier est un séducteur. L’été de sa mort, sa muse et maîtresse en date vit sous le toit familial. La situation provoque des disputes au sein du couple Crale. Par conséquent, lorsqu’Amyas est retrouvé empoisonné, Caroline est la coupable idéale. Et Philip lui crie au visage « tu as tué mon plus cher ami ! »
En l’occurrence, le poison utilisé n’est pas anodin. La conicine est un dérivé de la ciguë, avalée par le philosophe homosexuel Socrate. La référence est même explicite. Blake, en racontant la mort de Crale à Poirot, se comporte alors comme Platon, le disciple de Socrate adepte de l’amour chaste. Le parallèle avec l’amitié masculine à la grecque antique et l’homoérotisme est alors évident.
Ce petit cochon a menti par omission
Au fur et à mesure de son investigation, Hercule Poirot découvre que Philip Blake lui a caché une information. Au beau milieu de la nuit précédant le meurtre, Caroline a été vue quittant la chambre de Philip. Face à Poirot, Blake fend l’armure et fond en larmes.
L’épouse de son camarade a bien tenté de le séduire, sans succès. Philip n’a jamais aimé Caroline, car elle lui faisait toujours des remarques désagréables. Depuis l’enfance, Crale et Blake étaient de « vrais amis », ce qui rendait Caroline jalouse. Elle trouvait Philip pathétique, parce qu’il ne pouvait oublier Amyas. Un flashback montre alors deux adolescents : un jeune Philip embrasse un jeune Amyas dans le cou.
Tel est le secret : Blake est queer et Crale est bisexuel. Qu’il y ait sous-texte or not sous-texte dans le roman, l’ambiguïté est levée dans la série. L’homosexualité étant illégale à l’époque en Grande-Bretagne, Hercule accepte volontiers et sans jugement de taire cette révélation. Après tout, n’est-il pas lui-même un outcast, car étranger, au sein de la société britannique ? Ne le revendique-t-il pas ? Et ne serait-il pas camp, tant son personnage est exagéré ?
Après réflexion, Philip se moque que sa vérité soit tue et donc sue. Peu importe les conséquences, puisqu’Amyas n’est plus. Alors qu’il reprochait à son frère d’être trop sensible, Blake se laisse consoler par lui au moment où l’identité de l’assassin est révélée. Il n’est plus question de faire semblant et de performer une certaine conception de la masculinité.