Au détour d’un album consacré au Doctor Strange, un viol, une rédemption et un pardon sont mis en scène en quatorze pages. Cependant, être une femme et entre femmes facilite la compréhension.
Deux histoires de Doctor Strange et puis s’en vont
L’album Pour l’amour de Cléa, publié initialement par Marvel Comics puis traduit en français par Comics USA, compile trois histoires. Dans les deux premières, le Doctor Strange, alias le Sorcier suprême et Benedict Cumberbatch au cinéma, et Cléa, son apprentie, s’aiment mais se séparent. Ses peines de cœur conduisent Strange à affronter la créature mystique D’Spayre, Dezess Pouahr en français. C’était le temps des traductions, voire adaptations, pour faciliter la compréhension des noms des personnages de comic books par le.la lecteur.trice français.e.
Une troisième histoire, intitulée « Solo », conclut l’album. Issue de Amazing Adventures vol.4 #1 datée de 1988, elle est signée Chris Claremont, le scénariste qui a ressuscité les X-Men dans les années 1970 avec le dessinateur John Byrne. Point de Doctor Strange, de Cléa ou de D’Spayre, mais sont présentes Cody, une humaine abandonnée en bordure de route en pleine nuit, et Shavrin, une guerrière en armure, un « chevalier céleste » chevauchant un dragon à deux têtes.
Victime d’un viol, elle se venge et enseigne
Shavrin apparaît pour sauver Cody. Tabassée, violée – sans que le mot ne soit écrit – et balancée d’une voiture, l’humaine croit rencontrer la mort. « Non, mon enfant ! » Grâce à ses pouvoirs, la guerrière soigne sa mâchoire cassée, ses blessures, ses contusions, et lui propose de se venger. Cody accepte, quel qu’en soit le prix.
Attention, spoilers !
Transformée en vengeresse à l’image de Shavrin, Cody s’envole avec le dragon pour retrouver ses violeurs. Elle les connaît et sait où ils sont. D’abord, elle interroge son ami, Sam, car elle veut comprendre. Il lui dit que c’était pour « rigoler un peu », mais que « ça a dérapé ». Furieuse, elle est prête à le tuer avant de songer à « un moyen de changer les choses ». Sam est alors à la place de Cody, dans son corps, quelques heures auparavant. Parce qu’elle refuse publiquement de coucher avec lui, elle est rattrapée par trois frères qui la frappent. « Nous, on demande pas. On prend ! » « Blessé » dans son « amour-propre », Sam les rejoint et participe au viol. Vivant la scène dans l’enveloppe corporelle de Cody, Sam est donc violé par lui-même.
Retour au présent. Sam a « compris » et « appris ». Par conséquent, Cody lui donne une deuxième chance : « enseigne aux autres ». Quant aux trois frères, elle les transforme en petites filles et les confie à Sam. « Si le monde ne change pas, elles connaîtront peut-être un jour ce que j’ai connu. » Il revient à leur père adoptif de faire bouger les lignes. Il a été femme quelques minutes, il a été violé, il sait. A priori, il sera à même d’élever de futures femmes.
Solo devient duo à la Thelma et Louise
Revenue auprès de Shavrin, Cody découvre qu’elle a « fait ses preuves ». Elle a agi au mieux pour améliorer le monde, tout en dépassant sa propre souffrance pour pardonner. Shavrin, ayant connu « une expérience amère » identique, lui propose alors de partager sa vie d’aventures et de former une sororité « aussi précieuse qu’elle est unique ». La dernière image montre les femmes se tenant la main, alors qu’elles s’envolent vers les étoiles. Une autre version de la scène finale du film Thelma et Louise qui sortira deux ans plus tard. Avec la même ambiguïté amoureuse ?
À noter que Claremont illustrera à plusieurs reprises la violence faite aux femmes, super-héroïnes ou non, via le viol physique ou psychique.