Dans le livre Danser, Hugo Marchand raconte sa vie de danseur classique avec transparence. Enfin, presque. Lorsqu’il aborde son orientation sexuelle, le voile de l’intimité l’emporterait.
Danser est le métier, la passion et parfois la souffrance de Hugo Marchand, Étoile à l’Opéra de Paris. Danser est également le récit, écrit en collaboration avec Caroline de Bodinat et publié chez Arthaud, de son parcours, des premiers cours de danse à la consécration sur scène.
Sans concession envers lui-même, Hugo Marchand partage son expérience, ses réflexions et ses émotions. Il parle de ses différences physiques – sa taille, ses formes – et de ses complexes par rapport aux autres garçons de l’École de danse, qui le conduisent à être distant et froid. Il confie ses doutes, son trac paralysant, et ses peurs, notamment de la blessure qui finira par frapper. En toute honnêteté, il avoue son côté Calimero – « c’est vraiment trop injuste ! » –, ses crises d’ego et de nerfs disproportionnées. Et, bien sûr, il dit son épanouissement et ses joies, car sa carrière est brillante.
Danser comme un gay ?
Hugo Marchand aborde le cliché lié à l’orientation sexuelle du danseur classique. « Cette question qui revient de façon récurrente entre les jeunes danseurs (…) : et toi, t’es gay ? ». Il dézingue l’idée reçue, puisqu’il n’y a, en toute logique, aucune corrélation entre la sexualité et une profession.
L’Étoile reconnaît bien volontiers que danser avec un.e partenaire relève de la sensualité et même de l’amour. « Ces rôles (…), je les vis comme on peut être emporté par une relation extraconjugale. (…) J’y trouve une liberté en dehors de ma propre vie amoureuse. (…) Cette idée qu’il n’y a pas qu’une façon d’aimer m’apporte un équilibre. » Une façon d’expérimenter et de vivre le spectre des relations et des fantasmes via l’art.
Mais qu’en est-il de la réalité, de sa réalité ? Hugo Marchand interroge la pertinence du dévoilement qui deviendrait déballage : « est-ce si important que les autres sachent l’orientation sexuelle de chacun ? N’est-ce pas intime ? » Pour le danseur, la réponse est dans la question. « Ma vie amoureuse relève d’une intimité qui m’est propre, je l’ai acceptée, mais n’ai jamais voulu la dire, l’exposer, la partager avec le public ni la renier. »
Ainsi, Hugo Marchand semble formuler, malgré tout, qu’il appartient à la famille LGBTQ+, sans donner une lettre précise de l’acronyme. En effet, il parle d’acceptation et de reniement, champ lexical ne relevant pas de la norme et de l’hétérosexualité.
Intimité versus sexualité
Plus loin, l’Étoile mentionne sa « petite amie » Julia, danseuse au Crazy Horse. Puis après quelques pages, il évoque une autre relation, « la personne avec laquelle je vivais, que j’aimais et qui m’aimait ». En l’occurrence, y aurait-il évitement ou tentative de brouiller les pistes avec l’utilisation du mot neutre « personne » ? Pourquoi préciser un genre et occulter l’autre ?
En fait, le discours en apparence paradoxal de Hugo Marchand illustre deux points de vue qui s’opposent concernant l’attitude que devrait avoir une célébrité queer. D’une part, sa vie amoureuse et/ou sexuelle pourrait rester privée, tant qu’elle ne prétend pas être hétéro. Pas de mensonge, pas d’outing. D’autre part, l’orientation sexuelle serait exclue de l’intimité et n’aurait donc pas à être tue. La cacher signifierait qu’elle pourrait être honteuse. La dire, sans la détailler, contribuerait à la banaliser, quelle qu’elle soit.
Hugo Marchand semble être à un croisement entre ces deux voies. En effet, il amorcerait une démarche avant de s’en écarter, peut-être par simple maladresse ou par respect pour « la personne » concernée. Dans tous les cas, il n’a pas à endosser un rôle de modèle, si ce n’est pas son souhait. Le poids et la pression du statut de danseur Étoile ne seraient-ils pas déjà assez lourds à porter ?