Dans l’adaptation en BD des cultissimes Chroniques de San Francisco, chaque protagoniste a sa voix et sa tonalité grâce à une palette de couleurs délicate.
Après les séries TV et notamment la version diffusée sur Netflix, le cycle de romans Les Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin est maintenant adapté en bande dessinée chez Steinkis. Le premier album suit, avec fidélité, l’intrigue du premier tome, pourtant réputée inadaptable par certain.e.s. En effet, le scénario, signé Isabelle Bauthian, retrace, sur une année, le parcours d’habitants de San Francisco à la fin des années 70. Avant l’arrivée du sida, les un.e.s et les autres s’emparent de la libération sexuelle, et les différentes classes sociales se croisent, s’entrechoquent, se frottent.
Alors que la naïve Mary Ann décide de s’installer à Frisco pour fuir sa vie bien rangée, le.la lecteur.trice s’identifie à elle. Newcomer comme la jeune femme, il.elle emménage au 28 Barbary Lane et rencontre sa nouvelle famille au sein de cette pension iconoclaste. Avec ces personnages, il.elle partage la légèreté, les drames et le suspense digne d’un polar, les événements étant liés et ficelés avec intelligence.
Et la finesse des dessins de Sandrine Revel contribue à cette identification. Les tons et la technique façon pastel nous transportent dans le passé. Certaines cases ressemblent à des photos Polaroid rétro. La composition des pages pourrait rendre jaloux.ses certain.e.s accros à Instagram.
Se laisser guider par l’arc-en-ciel
Avec harmonie, la dessinatrice passe d’un protagoniste à l’autre et d’une scène à l’autre. Subtile, elle joue avec les couleurs et les cadres pour illustrer la subjectivité. Ainsi, un trait rouge entoure les cases, lorsque le récit est centré sur Mary Ann. Il devient orange, quand les pensionnaires Mona ou Mouse sont au centre de l’histoire. Puis le violet prend le relais à l’apparition de Mrs Madrigal, la propriétaire des lieux. Enfin, à chaque ellipse ou rupture, le texte tend à disparaître et un filtre bleuté est appliqué pour neutraliser la prise de parole des personnages.
En fait, ces cadres colorés peuvent faire référence au rainbow flag, l’un des drapeaux représentant la communauté LGBTQ+. Chacune de ses couleurs a une signification. Le rouge symbolise la vie et les changements souhaités par Mary Ann dans son existence. L’orange est la guérison, processus que traversent Mona, à la recherche de sens, et Mouse, à la recherche du prince charmant. Quant au violet associé à l’esprit, il correspond à l’expérience et à la sagesse de Mrs Madrigal.
L’ensemble rend la lecture addictive, mais aussi pittoresque. Car on découvre ce qu’est L’anchois karmique, la chanson de Jane Olivor adorée par « tous les pédés de la ville », ce qui se passe aux Bains Sutro, ou les effets de pilules contre le vitiligo. Et cela vaut le voyage !