Dans la bande dessinée Aux Sources du Z, Spirou et Fantasio, connus pour leur maladresse, dépassent les bornes. En un album et à eux deux, ils additionnent sexisme, homophobie, agression et violence envers les personnages féminins.
En 2008, Dupuis publie le cinquantième tome des aventures du naïf Spirou et du loser Fantasio, Aux Sources du Z. Signée Jean-David Morvan et Yann au scénario, José Luis Munuera au dessin, l’histoire remonte le temps et redéfinit la personnalité du soi-disant gentil petit groom. En effet, Spirou retourne dans le passé pour sauver la méchante Miss Flanner à la demande du non moins vilain Zorglub. Les auteurs peuvent ainsi revisiter les grands arcs narratifs d’une série existant depuis 70 ans à l’époque.
Je t’aime, je te cogne
Cet album divise. Certains saluent les effets comiques, tandis que d’autres trouvent les héros encore plus caricaturaux qu’à l’accoutumée. La narration est jugée (trop) audacieuse, voire excessive, notamment parce que Spirou est amoureux. Néanmoins, le plus dérageant est ailleurs. Parce qu’il en est amoureux, Spirou gifle une femme : « C’était tellement soudain comme sensation… Tellement intense… Je n’avais jamais ressenti ça… C’était si fort que j’ai eu peur. Alors, je l’ai frappée… » L’acte n’est pas condamné ou, a minima, questionné par un autre personnage, mais est « pardonné » par une version alternative (les conséquences du voyage dans le temps) et donc non concernée de la femme battue.
Attention, spoilers !
Et cela va plus loin. Lorsque Fantasio découvre que son ami est marié avec Miss Flanner, il s’écrit « cette harpie hystérique ». Deux stéréotypes sexistes sont cumulés pour désigner une femme considérée comme dangereuse : la figure issue de la mythologie grecque et la figure issue de la psychiatrie du XIXe siècle. Retirée de la classification internationale des maladies depuis 1952, l’hystérie continue d’être un terme employé dans le langage courant pour disqualifier une femme en raison de sa conduite et/ou de ses propos, qui ne correspondraient pas aux attentes de la société patriarcale.
Culture du viol et panique homosexuelle
Malheureusement, Spirou cumule les atteintes à l’intégrité féminine. Lors de l’un de ses voyages dans le passé, il fait face aux doutes de Seccotine, journaliste futée autant amie que rivale du pseudo héros. Elle trouve, à juste titre, que Spirou fait moins gamin que d’habitude. Il se défend et fronce les sourcils, ce qui donne « des petits frissons » à Seccotine. C’est bien connu, les femmes aiment être un peu malmenées… Pour autant, la reporter, déterminée, poursuit l’interrogatoire. Pour se débarrasser de « ce pot de colle », le groom l’embrasse à pleine bouche. Seccotine reste pétrifiée et sans voix. Même s’il est « désolé », la fin justifie les moyens pour Spirou, surtout qu’il en avait envie depuis « très longtemps ». Et la jeune femme ? De quoi avait-elle envie ? Qu’en est-il de son consentement ?
Comme si cela ne suffisait pas, Fantasio prend le relais. Alors qu’il empreinte un passage secret avec son compère, il s’inquiète des pièges qui les attendent : « Des scolopendres géantes gorgées de venin aphrodisiaque ? Des mygales gays ? Des moustiques infestés par le virus de la danse de Saint-Guy ? Des morpions trempés dans un piment rouge qui t’obligent à te gratter jusqu’à sang ? » Des mygales queer seraient donc plus mortelles que des mygales hétéro. À moins que, telles les moustiques, elles soient infectées par un virus. À force d’employer autant de mots relatifs au champ lexical du sexe (« aphrodisiaque » et « morpion » en sus), on s’inquiète pour Fantasio. Serait-il victime d’une crise de « gay panic » ? Ou serait-il sujet à un soupçon d’homosexualité refoulée ?
En fait, Spirou et Fantasio n’ont nullement besoin de remonter dans le temps. Ils sont restés bloqués en 1938. Sauf si quelqu’un.e songe à les sauver.